Abstract:
La présente étude concerne l’évolution sémantique et formelle d’un
adverbe épistémique du kirundi, umeengo/umeenga, les deux formes constituant
des variantes libres. Elle est une des premières études s’inscrivant en linguistique de
corpus pour les langues bantoues, une démarche rarement adoptée pour cette
famille de langues, de même qu’elle étudie une catégorie grammaticale
généralement négligée dans les études linguistiques, c’est-à-dire l’adverbe. Nous
décrivons les différents emplois de umeengo/umeenga : comme adverbe, mais
aussi comme comparatif, et dans les emplois du verbe qui en émerge à l’étape
suivante dans son évolution. Ses origines sont éclairées par un indice retrouvé en
kinyarwanda, langue proche du kirundi, ainsi que dans la variante dialectale du
kirundi parlée à l’ouest du Burundi, dans la région de l’Imbo. D’après ces éléments,
il apparaît que cet adverbe est formé par univerbation, plus précisément par fusion
d’un verbe conjugué, umenya (du verbe -meny- « connaître ») et du quotatif ngo
« que ». Dans la suite du processus, à partir de cet adverbe épistémique, se forme un
nouveau verbe, -meeng- « croire ; penser », différent de celui du départ, tant dans le
sens qu’au niveau de la forme. Une telle évolution au sein de l’adverbe, qui naît d’un verbe et débouche lui-même à la naissance d’un autre verbe, est rare dans les
langues du monde, de là l’intérêt de notre analyse. Dans cette étude, nous nous
interrogeons sur la nature des processus à l’oeuvre. Nous montrons que les changements
structurels et sémantiques par lesquels l’adverbe umeengo/umeenga s’est formé sont à mettre sur le compte de la grammaticalisation. Dans le même ordre
d’idée, nous analysons la formation du verbe -meeng- à partir de l’adverbe comme
le résultat d’une dégrammaticalisation.